Bénéfices : la grande divergence entre les États-Unis et l’Europe

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Depuis la crise de 2009, les profits des entreprises américaines et européennes ont suivi des trajectoires opposées. Les premières surfent sur la croissance exponentielle de la tech, les secondes sur un modèle plus diversifié mais moins rentable. Quinze ans plus tard, l’écart de performance entre le S&P 500 et le Stoxx Europe 600 raconte à lui seul l’histoire d’une mondialisation déséquilibrée.

Les États-Unis creusent l’écart
En 2009, au sortir de la crise financière, les entreprises américaines et européennes affichaient des niveaux de bénéfices nets comparables : autour de 500 milliards de dollars. Quinze ans plus tard, la comparaison tourne à la démonstration.
 

Selon une analyse de DWS, les bénéfices agrégés du S&P 500 atteignent désormais 2 000 milliards de dollars, soit une multiplication par 4,2, tandis que ceux du Stoxx Europe 600 n’ont fait que doubler, à environ 1 100 milliards.
Cette divergence est d’abord sectorielle. Outre-Atlantique, les profits sont concentrés dans une poignée de géants technologiques et de communication : les dix premières entreprises pèsent 32 % du bénéfice net total du S&P 500, contre 24 % en 2009.
 

Les champions américains de la “Big Tech” — Apple, Microsoft, Alphabet, Meta, Amazon, Nvidia — captent l’essentiel des marges et dopent les indices, portés par une dynamique d’innovation et de valorisation exceptionnelle.
 

L’Europe, elle, a vu la concentration inverse : les dix plus grandes entreprises ne représentent plus que 16 % des bénéfices du Stoxx 600, contre 24 % en 2009. Une dispersion qui traduit une diversification sectorielle plus large, mais aussi un manque de locomotives mondiales capables de tirer la croissance des profits.

Un modèle européen plus stable… mais moins flamboyant
L’analyse sectorielle souligne la nature du décalage. Le Stoxx 600 européen reste dominé par les banques, les industriels et la santé, qui pèsent chacun environ un tiers des profits agrégés. Si cette structure rend l’indice plus résilient en période de crise, elle limite aussi les phases d’envolée.
 

Les valeurs industrielles européennes — hier synonymes d’excellence — peinent désormais à rivaliser avec leurs homologues américaines sur la productivité, l’investissement et la transition technologique.
Le secteur financier, en revanche, a joué un rôle majeur dans la sous-performance historique du continent : les marges d’intérêt comprimées par la politique monétaire de la BCE ont freiné la rentabilité pendant une décennie. Mais depuis la remontée des taux en 2022, il contribue au redressement des bénéfices, notamment pour les grandes banques d’Europe du Nord.
 

Pour Thomas Bucher, stratège mondial actions chez DWS, cette dissymétrie ne signifie pas que l’Europe soit hors-jeu : « Les actions américaines sont clairement chères. Cependant, par rapport à leur impressionnante croissance à deux chiffres du BPA, la valorisation n’est peut-être pas aussi inquiétante qu’elle en a l’air. »
Autrement dit, la prime de valorisation des États-Unis reste justifiée tant que la croissance des profits se maintient.

Un potentiel de rattrapage européen ?
Les valorisations actuelles laissent toutefois entrevoir des opportunités. Le PER moyen du S&P 500 dépasse 23 fois les bénéfices attendus, contre 13 à 14 fois pour le Stoxx 600.
 

À court terme, les investisseurs privilégient encore la liquidité et la croissance visibles, deux avantages américains. Mais la diversification sectorielle européenne, associée à une exposition plus forte à la transition énergétique, à l’industrie verte et aux infrastructures, pourrait offrir un rattrapage progressif.
 

L’Europe bénéficie aussi d’une série de plans de relance ciblés — comme le plan d’investissement industriel allemand et les projets européens de souveraineté technologique — susceptibles de doper les profits des groupes d’ingénierie, d’énergie et de santé.
 

La prudence reste de mise : la région ne dispose pas encore d’équivalents aux plateformes globales américaines, capables de générer des effets d’échelle mondiaux.
 

Pour les investisseurs, la clé est de combiner les deux univers : le dynamisme structurel américain et la valorisation plus raisonnable de l’Europe. Une diversification intelligente, au-delà des indices, pourrait devenir un atout stratégique dans un monde de croissance ralentie.