À force d’empiler les normes et d’exiger toujours plus de reporting, l’Europe risque de vider la transparence de son sens. Alors que la SEC américaine prône un retour à la simplicité, les entreprises cotées du Vieux Continent croulent sous les pages et les sigles. Un excès de conformité qui décourage l’investissement et affaiblit le capitalisme populaire.
Aux États-Unis, le président de la Securities and Exchange Commission (SEC), Paul Atkins, a récemment proposé de simplifier la vie des entreprises cotées en réduisant la fréquence des reportings obligatoires : un rapport semestriel au lieu de trimestriel. L’objectif ? Redonner de la souplesse aux dirigeants et recentrer la régulation sur ce qui compte vraiment : la matérialité des informations, c’est-à-dire leur impact réel sur la perception de la valeur d’une entreprise.
Cette initiative a provoqué un débat de fond sur les deux rives de l’Atlantique. En Europe, la tendance inverse prévaut : multiplication des textes, complexité des formats, avalanche d’indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance. Les entreprises ne publient plus pour informer mais pour se conformer.
Les chiffres sont éloquents. En vingt ans, le rapport annuel de BNP Paribas est passé de 280 pages à près de 950. Celui de TotalEnergies a triplé, de 240 à 680 pages ; L’Oréal, de 100 à 450. Or, le nombre d’informations réellement « utiles » à l’analyse des investisseurs n’a pas quadruplé pour autant. Le phénomène n’est pas anodin : il détourne les acteurs financiers de l’essentiel et érode la lisibilité des marchés.
À cette inflation documentaire s’ajoute la prolifération des réglementations à acronymes : CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), CSDD (Corporate Sustainability Due Diligence Directive), SFDR, Taxonomie verte… Autant de couches successives qui, sous couvert de transparence, brouillent la hiérarchie des priorités. L’information pertinente se noie dans un océan de données normalisées.
Le paradoxe européen : protéger jusqu’à l’asphyxie
Ce trop-plein réglementaire a un coût économique et démocratique. Selon une étude de BDL Capital Management, le nombre d’entreprises cotées en Europe et aux États-Unis a chuté de plus de 30 % en vingt ans. Beaucoup de groupes préfèrent se retirer de la Bourse plutôt que de supporter les contraintes de conformité et la pression du « reporting permanent ».
Chaque départ affaiblit la transparence réelle des marchés. Les investisseurs individuels perdent l’accès à un pan entier de l’économie, désormais réservé aux fonds de private equity et aux family offices. Là où chacun pouvait autrefois acheter quelques actions Hermès ou LVMH, seules les grandes fortunes peuvent aujourd’hui participer à la croissance d’OpenAI ou SpaceX via des fonds non cotés. Le capitalisme accessible à tous s’effrite à mesure que la régulation se durcit.
L’intention des régulateurs européens – protéger l’épargnant et garantir la durabilité – reste légitime. Mais la dérive bureaucratique produit l’effet inverse : elle rend la lecture financière illisible et détourne les entreprises de la cote. En empilant les obligations, on finit par produire du doute, pas de la confiance.
Pour Laurent Chaudeurge, membre du comité d’investissement de BDL Capital Management, il est temps de revenir aux fondamentaux : « Depuis la Compagnie des Indes Orientales, les marchés boursiers sont le poumon du capitalisme. Ils ne peuvent remplir cette mission que si l’information reste claire, synthétique et comparable. »
La matérialité – principe cher à la SEC – devrait redevenir la boussole des régulateurs européens. L’idée n’est pas de réduire la transparence, mais de lui redonner du sens. Publier moins, mais mieux ; simplifier pour renforcer la confiance ; clarifier pour attirer de nouveau les entreprises et les épargnants vers la Bourse.
Retrouver l’esprit du capitalisme lisible
Des marchés cotés dynamiques et lisibles sont essentiels à la démocratisation de l’investissement. Ils permettent aux particuliers d’accéder à la croissance, assurent la liquidité et favorisent le financement de l’innovation. Or, l’inflation réglementaire menace cet équilibre : la complexité décourage les introductions en Bourse et freine les levées de capitaux.
Pour raviver leur attractivité, les régulateurs européens doivent réapprendre à hiérarchiser l’information. L’important n’est pas de tout dire, mais de rendre intelligible ce qui compte. Une approche plus pragmatique – à l’image de celle prônée par la SEC – serait le meilleur moyen de réconcilier transparence et efficacité.
Dans un monde saturé de données, la clarté devient un avantage compétitif. La régulation ne doit plus être un empilement de sigles, mais un outil de compréhension. Car la confiance des marchés ne se décrète pas à coups de directives ; elle se construit par la lisibilité et le bon sens.


